Série de courts articles rédigés par un membre du Club (Jean-Pierre Artigau) sur l’étymologie de quelques termes du domaine de l’ornithologie (noms d’oiseaux ou autres). C'est une belle occasion de nous amuser tout en en apprenant un peu plus sur l’origine et l’histoire des mots que nous employons tous les jours sans vraiment savoir d’où ils viennent. Quand la série sera complète, on aura couvert toutes les lettres de l'alphabet !

C: Caprimulgidés

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Comme nous le savons tous, il s’agit ici de la famille des engoulevents (elle-même rattachée à l’ordre des Caprimulgiformes). Mais quelle brillante notion scientifique peut bien se cacher derrière un nom aussi mystérieux?

Le mot est formé de deux racines latines, capra (chèvre), et mulgere (traire). En effet, en Europe, on accusait autrefois les engoulevents de s’accrocher au pis des chèvres pour boire leur lait, d’où leur autre nom français de tète-chèvre. (À noter que dans les vieux pays, la principale espèce est l’Engoulevent d’Europe, Caprimulgus europaeus.) La large ouverture de leur bec faisait d’eux des coupables tout trouvés. Certains auteurs prétendaient même que ces oiseaux étant nocturnes, ils ne voyaient pas la lumière du jour et que, conséquence logique, ils avaient le pouvoir de rendre les chèvres aveugles.

Cette croyance des « tète-chèvres » remontait à Aristote (4e siècle av. J.-C.) et a été présentée par le célèbre naturaliste Buffon dans son Histoire naturelle (18e siècle) :

Les chèvres [...] sont, comme les vaches et les brebis, sujettes à être tétées par la couleuvre, et encore par un oiseau connu sous le nom de tète-chèvre ou crapaud volant, qui s'attache à leur mamelle pendant la nuit, et leur fait, dit-on perdre leur lait.

Pour la défense de l’engoulevent, précisons qu’il est un insectivore inconditionnel et que s’il s’approchait souvent des troupeaux, c’était pour y rechercher les innombrables bestioles sans doute attirées par l’odeur du fumier! Nous ne cherchons point en cela à jeter le blâme sur l’inoffensive couleuvre dont le cas mériterait aussi d’être étudié avec un peu de sérieux.

Ailleurs dans le même monumental ouvrage, le grand Buffon explique pourquoi il choisit finalement de nommer l’oiseau non pas tète-chèvre mais engoulevent (bien que ce nom soit « un peu vulgaire »!) :

Lorsqu'il s'agit de nommer un animal, ou, ce qui revient presque au même, de lui choisir un nom parmi tous les noms qui lui ont été donnés, il faut, ce me semble, préférer celui qui présente une idée plus juste de la nature, des propriétés, des habitudes de cet animal, et surtout rejeter impitoyablement ceux qui tendent à accréditer de fausses idées et à perpétuer des erreurs. C'est en partant de ce principe que j'ai rejeté les noms de tette-chèvre, de crapaud-volant, de grand merle, de corbeau de nuit et d'hirondelle à queue carrée, donnés par le peuple ou par les savants à l'oiseau dont il s'agit ici (…) J'ai conservé à cet oiseau le nom d'engoulevent qu'on lui donne en plusieurs provinces, parce que ce nom, quoique un peu vulgaire, peint assez bien l'oiseau lorsque, les ailes déployées, l'œil hagard et le gosier ouvert de toute sa largeur, il vole avec un bourdonnement sourd à la rencontre des insectes, dont il fait sa proie et qu'il semble engouler* par aspiration.

* Engouler = avaler

Voici donc notre oiseau enfin exonéré des accusations de détournement illicite du lait de notre bétail.

L’étymologie de ce nom « savant » nous ramène donc à une croyance ancienne totalement dénuée de fondement scientifique. On trouve la même étymologie de tète-chèvre dans plusieurs langues des vieux pays : succiacapre en italien, chotacabras en espagnol et Ziegenmelker en allemand.

En anglais, on a aussi goatsucker, un nom familier ou folklorique qui n’a pas été repris dans la nomenclature courante des espèces.

Sources :

  • WALTER, Henriette, Pierre AVENAS. La mystérieuse histoire du nom des oiseaux, du minuscule roitelet à l’albatros géant. Robert Laffont, 2007.
  • PETERSON, Roger, Guy MOUNTFORT, P.A.D. HOLLOM, Paul GÉROUDET. Guide des oiseaux de France et d’Europe. Delachaux et Niestlé, 1993.
  • Wikipedia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Caprimulgidae, « caprimulgidés », consulté le 29 février 2024.
  • CABARD, Pierre, Bernard CHAUVET. L’étymologie des noms d’oiseaux. Belin Éveil Nature, 2003.
  • Sibley Guides. « Why are they called goatsuckers? » http://www.sibleyguides.com/2015/03/why-are-they-called-goatsuckers/ , consulté le 29 février 2024.
  • Œuvre complètes de Buffon, tome neuvième, Histoire naturelle des oiseaux, Paris, Adolphe Delahays, Librairie, 1856.
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