Une avicourse qui fait le printemps: cinquième semaine

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claudemu
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Une avicourse qui fait le printemps: cinquième semaine

Message par claudemu »

Encore un épouvantable cliché. Je ne sais plus si c’était à l’aube ou au crépuscule, mais la «mystérieuse inconnue» aux airs de starlette jeta son vison défraîchi sur mes bouteilles de whisky chancelantes, par bonheur déjà vides. Endormi et flottant dans les vapeurs d’alcool depuis des mois, ça en prenait beaucoup pour me tirer de ma torpeur. Et voilà un bail qu’une affaire d’importance et confidentielle (louche ou réglo, peu importe) n’était atterrie dans mon bureau crasseux du East Side Los Angeles. Pourquoi notre bureau, grands Dieux ? Peut-être à cause de nos nombreuses connections dans le milieu des détectives privés ? L’inconnue travaillait par ailleurs pour une organisation pas du tout mystérieuse, le COO (Conseil des oiseaux oubliés), toujours à fouiller de plus en plus profondément dans les vies privées de nos espèces. Je remarquai qu’elle portait des boucles d’oreilles et un poudrier à l’effigie de Grand Pic. C’est un automatisme chez les privés : chaque détail pourrait peut-être servir plus tard. L’inconnue désirait une vaste enquête pour savoir où la course aux renseignements en était. Le COO voulait trouver d’abord et médiatiser ensuite : c’est de bonne guerre, considérant mon attitude de tire-au-flanc des dernières années. Voyons, cette armoire est un foutu bordel; où est ce satané flingue ? Les balles ont été lancées dans le fond de l’aquarium, voilà deux ans. Tiens, mon briquet de 1943 et un vieux cigare cubain taché de rouge à lèvre ! En tirant comme un forcené sur les tiroirs coincés de mon vieux classeur poussiéreux, je sortis les dossiers de mes collaborateurs-trices. Pas du tout inquiet, c’était une sacrée équipe de choc, éparpillée mais efficace. Je vois ici la gueule sympa d’Edgar «Robert Langdon» Prud’homme (E.P), spécialiste des filatures religieuses, comme pour les sectes d’ornithologie délirante (Opus Dei) et ses cocheurs en série. Puis, là c’est Daniel Perrier (D.P.), qui me fut recommandé par Michael Connely, un pote de L.A. Tiens, c’est aussi Jean-Marc Emery (J-M), notre Dick Tracy, le chapeau en moins. Mais notre limier le plus expérimenté c’est Jean-Serge Vincent (J-S), mais à cause de mon problème de pinard (vraiment ?), il m’avait dit que notre bureau n’allait nulle part, qu’il attendait un nouveau départ et, pour prendre part à notre histoire, le feu vert de notre collègue Chrystine Brouillet (romancière à ses heures) pour nous sortir du brouillard. Cette dernière semaine, pas de nouvelles de Miss Morin Cybèle (C.M), un vrai personnage des œuvres d’Henning Mankell. Une fière équipe de baroudeurs, dis-je donc. Nous avons décidé d’une rencontre dans un tripot de la basse ville, sans alcool pour moi. Nous décidâmes de mettre en œuvre des moyens considérables pour arriver à nos fins; de toutes manières, notre budget était désormais illimité car l’attrait de la mission abolissait tous les obstacles chez nos commanditaires. Nous étions pris comme dans un «vortex» irrépressible à partir de ce moment. Voyons, ce n’est pas un concurrent qui m’observe ainsi aux jumelles depuis un immeuble voisin ? Faudra faire gaffe. Heureusement, j’avais encore mon télescope magnum 60X90 pour le tenir à distance.
Ce ne fut pas long pour débloquer l’enquête, irradiant dans une foule de directions, surtout lors de la cinquième semaine. On a trouvé plus d’une trentaine d’individus de différentes espèces et recherchés tout spécialement par le COO. D’abord James Elroy (un autre de mes potes), sous le sceau de la confidence (L.A. Confidential), nous pointa la piaule d’une discrète Gallinule d’Amérique le 7 mai (J-S). À la même date, infiltrant un groupe de musiciens de jazz, c’est le commandant Martin Servaz (Bernard Minier) qui mit à jour le Viréo mélodieux (J-S). C’est dans un trou mal famé qu’Harry Hole (Jo Nesbo) dévoila le Chevalier grivelé (7 mai, J-S). Une énigme des plus corsées ne fut qu’un passe-temps pour nos collaborateurs anglais et c’est sans sourciller que Holmes déclara à son collègue; «élémentaire, mon cher Watson, ceci est une définitivement une Hirondelle à ailes hérissées» (J-S, 7 mai). Ce Sherlock ne loupe jamais rien avec sa loupe, puis il est imperméable aux jérémiades. Mais que vois-je ici ? Un vieux calepin de notes taché de guacamole, remontant à mes années au Panama avec l’agence Bausch and Lomb. Je me souviens avec délice de mes collègues de l’époque : le vieux renard russe Swaroski et surtout la vedette locale, le capitaine Hoatzin Quetzal, un oiseau rare. Ah, que nous étions fumants et resplendissants ! Pas toujours en loi….
Pour revenir à notre affaire, certains individus nous échappaient depuis le début de notre investigation et semblaient prendre plaisir à se moquer de nous. Des oiseaux moqueurs, en quelque sorte. Mais notre collaboratrice, rompue à la psychologie de ce genre de personnalités, nous trouva le Moqueur roux le 7 mai (J-S) et le Moqueur chat le lendemain (J-M). Merci, miss Marple (Agatha Christie). Un autre de nos pigistes de génie, bien que souvent imbibé de boissons diverses, nous dénicha la Paruline à gorge orangée (E.P., 9 mai) et la Paruline couronnée (5 mai, D.P.); du beau travail de l’inspecteur Kurt Wallander (Henning Mankell). Ce n’est pas par hasard que l’irritable Perry Mason trouva l’Hirondelle noire (E.P. 4 mai) et ça prenait une tête un brin rousse, celle de l’inspecteur Maud Graham (Chrystine Brouillet), pour dénicher bien sûr une Paruline à couronne rousse (5 mai, E.P). Le 6 mai, on mit la main sur le rubis du Colibri à gorge rubis (E.P et D.P.) grâce au commissaire Brunetti (Donna Leone), un pactole qui remboursait en partie nos dépenses. De quoi remplacer mon appareil polaroid brisé et me procurer des souliers pour déambuler dans les zones mal éclairées des quartiers mal fréquentés. Tiens, cette bouteille de scotch 1968 est exsangue de liquide…
Grâce à sa grande perspicacité, Kate Brannigan (Val McDermid) mit la main au collet de la Paruline à collier le 9 mai (D.P.) et c’est en cherchant la panthère rose que l’inspecteur Clouseau passa si près du Cardinal à poitrine rose (8 mai, D.P.). Dan Brown n’eut pas à chercher trop longtemps pour trouver le Grimpereau brun, dessinant d’ailleurs un genre de code Da Vinci sur les troncs. Comme nous l’ont appris cette affaire ou encore celle de «La firme» (John Grisham), rien n’est noir ou blanc dans de tels cas, sauf peut-être pour des personnages furtifs comme la Paruline noir et blanc, identifiée dès le 8 mai par D.P. Habitués de la faune des bars glauques, c’est embusqués dans ces bosquets urbains qu’Harry Bosch et son collègue Terry McCaleb (Michael Connely) nous ont trouvé le Bruant à couronne blanche (7 mai, D.P.). De l’aide, nous en avons profité à profusion lors de ces enquêtes; pensons à Mikael Blomkvist et Stieg Larsson (Millenium) qui nous mettent au parfum de la Paruline à gorge noire, le 6 mai (D.P.) et du Pic à dos noir le 3 mai (D.P.) (avec un cliché à l’appui, pris avec une caméra dissimulée dans un étui de cigarette). Des grosses pointures, en voulez-vous, en voilà : c’est le commissaire Maigret (Georges Simenon) qui reconnait le Troglodyte des marais (5 mai, D.P.) et Hercule Poirot (Agatha Christie) qui désigne, appuyé par le capitaine Hastings, le retour de la Paruline des ruisseaux (5 mai, D.P.). Les plans qu’il a échafaudés pour en arriver à cette déduction demeurent hors de notre compréhension de simples mortels. Tiens donc, mon permis de pratiquer est échu depuis 1937…..Vite, cacher ce papier périmé sous un poster de Rachel Welch.
Des auteurs d’intrigues policières ont même déduit de leurs écrits des profils de personnages de la vraie vie ! Bernard Minier a cerné le Petit Chevalier (8 mai, J-M), Arthur Conan Doyle décrit les contours de l’Oriole (à Baltimore) le 8 mai (J-M), tandis que Fred Vargas voit dans ses cartes la Mouette de Bonaparte (8 mai, J-M). Que dire aussi de mon copain James Elroy qui lors d’un séjour en Virginie évoque les oiseaux de nuit (ou presque) dans son opus «Au bout de la nuit», ce qui nous permet de déduire la sortie du Râle de Virginie (7 mai, J-M). D’ailleurs, comme sorti tout droit d’un roman, Jean-Baptiste Adamsberg (Vargas) a le talent de trouver la Bernache cravant (8 mai, J-M). Travaillant en solitaires, Bernie Gunther (Philip Kerr) et Lisbeth Salander en motocyclette (Stieg Larsson) confrontent respectivement le Héron vert (6 mai, J-M) et le Chevalier solitaire (lui aussi) (8 mai, J-M). Nous recevons un coup de téléphone de Rebecka Martinsson (Asa Larsson) qui veut se consacrer à la recherche de ce qu’elle considère comme son butin : le Tarin des pins. Sans surprises, le 6 mai (J-M) elle fait une prise….
La cerise sur le sundae nous est venue de mon pote l’inspecteur Columbo qui nous a dit avant de partir : «Juste une dernière chose, êtes-vous sûr que vous étiez là à l’heure du passage de la Grive fauve ?». Eh bien, Daniel Perrier y était le 8 mai ! C’est l’épouse de Columbo qui va être contente. Mais où est donc passée mon badge de détective ? Haaa, juste en dessous de cette pile de contraventions et de formulaires d’impôts impayés.

Notre équipe disparate s’est bien dilaté la rate en cette période d’enquête intense, du 3 au 9 mai. Chacuns et chacune ont ajouté à leur palmarès déjà bien garni d’affaires conclues et résolues, alors le client, le groupe COO, fut comblé. L’inconnue laissa une fleur de dahlia noire dans mon vieux verre d’eau jauni de 1955.

Voici ce palmarès cumulatif de mes collaborateurs-trices : Cybèle 22, Jean-Serge 72, Edgar 81, Daniel 87 et Jean-Marc 96. Mais ces gens ne sont pas que des chiffres, comprenez bien. Ils sont l’âme de notre entreprise.

J’ai pu changer mes classeurs et poser des carreaux aux fenêtres dans ce bureau moins misérable. Le vison traîne toujours quelque part. Je sais de plus que je vais en apprendre beaucoup encore de ce monde étrange des ornithologues. Cette enquête, appelée «l’affaire de l’avicourse printanière», m’a donné une de ces soifs…de savoir.

Clyde Martin, PI
Claude Martineau, coordonnateur de la course

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